Le musée des histoires (non) imaginées

LE MUSÉE DES HISTOIRES (NON) IMAGINÉES
Exposition interactive et performances
Du 15 au 19 octobre 2023, de 14h à 18h45 – Ateliers Presqu’île

En partenariat avec la Plateforme Théâtre de résistance www.resistancetheatre.org

Le TNG et Sens Interdits soutiennent ce projet pour la force de son enjeu politique : permettre de diffuser, par le biais d’une plateforme digitale, les créations et témoignages d’artistes dissidents russes (exilés en France et ailleurs en Europe).
Le musée des histoires (non) imaginées présente les œuvres d’artistes russophones dissidents contraints de s’installer en France après le début de l’invasion russe en Ukraine. L’exposition invite des artistes de générations et de disciplines artistiques différentes, unis par leur désaccord avec la politique du régime russe actuel.
Chaque artiste est invité à raconter son histoire d’activisme créatif à travers le théâtre, le cirque, la dramaturgie, l’installation sonore et multimédia.

Exposition réalisée dans le cadre d’un programme de résidences de 3 mois, accueillies par le TNG.

ARTISTES

  • Vika Privalova
  • Esther Bol
  • Alexey Nadzharov
  • Alexandra Poldi
  • Georgy Bogachev
  • Shamil Shaaev

Commissariat et conception : Artem Arsenian et Nika Parkhomovskaia
Espace visuel et sonore : Eldar Karkhalev, Ksenia Marrokanskaya et Daniil Koronkevich, L’agence de design Holystick

Avec la participation de : Marion Talotti et Vincent Hermano

NOTE D’INTENTION

Dans l’Union soviétique et plus tard, dans ce que nous croyions à l’époque être la Russie libre, l’expression « pourvu qu’il n’y ait pas de guerre » était extrêmement répandue. Mais ce postulat s’est avéré être un simulacre, une fiction, un outil de propagande et un stratagème idéologique de plus, et le 24 février 2022, lorsque la Russie a déclenché une invasion massive de l’Ukraine souveraine, cela est apparu plus évident que jamais. Que ressentons-nous lorsque notre pays en attaque un autre ? La douleur, la peur, le désespoir, la honte, la culpabilité. Le spectre d’émotions est large, mais pour beaucoup leur conséquence est sans équivoque : la seule décision possible est de quitter son pays pour ne pas être complice du crime, continuer à parler, créer un autre avenir, un avenir alternatif. C’est dans ce contexte difficile de délocalisation que l’Institut français, le théâtre TNG et le festival Sens Interdits nous ont offert leur aide. C’est ainsi qu’un grand projet collectif de plusieurs producteurs de théâtre russophones en exil a émergé dans le cadre d’une résidence de création à Lyon, se concrétisant en automne 2023.

Ce qui nous importait le plus lorsque nous avons appris que les institutions culturelles françaises allaient nous soutenir, c’était de réunir un groupe le plus diversifié possible d’artistes issus de différentes générations, de différents milieux et pratiquant différents médias. Bien sûr, nous avons voulu avant tout donner la parole à ceux qui dénoncent le caractère inacceptable de la guerre, de la dictature et de la répression, à ceux pour qui il est important de ne pas se taire sur ces sujets difficiles, à ceux qui ont besoin d’être entendus. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une exposition participative performative commune, une sorte de musée d’histoires (non) imaginées, où toutes les pièces sont, d’une manière ou d’une autre, liées à la guerre actuelle. Au cours de longues discussions collectives, le concept général de l’exposition a été formulé par les commissaires Artem Arsenian et Nika Parkhomovskaia et des œuvres à exposer ont été définies en grandes lignes, chacune reflétant l’état d’âme actuel des artistes et les nuances de leurs positions individuelles face à tout ce qui se passe autour d’eux et avec eux-mêmes.

La dramaturge Esther Bol retrace les crimes commis par la Russie en Ukraine, composant un entrelacs auditif mêlant faits et sensations, tandis que la metteuse en scène Vika Privalova attire notre attention sur les histoires de ceux qui sont restés dans le pays, dressant ainsi une sorte de portrait psychologique de la société russe. L’artiste multimédia Shamil Shaayev raconte comment les personnes de la communauté LGBTQ+, de facto hors-la-loi, continuent de vivre et d’aimer, tandis que le compositeur Alexey Nadzharov nous fait part de ses réflexions sur sa propre « invisibilité ». Alexandra Poldi, l’artiste du nouveau cirque, invite le public à jouer à « la nouvelle vie » – un jeu interactif invitant à trouver un équilibre si fragile. Georges Bogachev, obligé de se cacher sous un pseudonyme, propose au public d’accrocher des photographies en noir et blanc dans l’ordre de son choix, créant ainsi un récit « alternatif » de sa vie. Tous interagissent simultanément entre eux et avec l’espace scénique créé par le chef décorateur Eldar Karkhalev, le concepteur sonore Daniil Koronkevich et la compositrice Ksenia Marokkanskaya.

Au centre de ce petit musée improvisé, composé d’une seule pièce et d’une multitude d’histoires (non) imaginées, se trouve une pièce obscure – la chambre noire – et, à l’intérieur de celle-ci, des photographies de notre passé russe ; depuis les écrans et les écouteurs résonnent les voix d’un présent qui ne nous est pas encore étranger. À partir de cet objet « double », sorte de fondation de ce qui nous arrive aujourd’hui, se propagent, tels des cercles sur l’eau, nos tourments et nos interrogations sur la guerre. Nous ressentons et réfléchissons sur le moment, en réalisant parfois que nos sentiments, nos pensées et leur formulation ne se sont pas encore « stabilisés », qu’ils sont souvent momentanés, mais qu’ils sont en même temps vivants et réels, et qu’il est important pour nous de partager avec le public ce qui nous arrive exactement ici et maintenant.

Nous espérons que nous serons entendus et que notre acte collectif de résistance ( l’exposition est organisée en partenariat avec un autre projet russe anti-guerre, le Théâtre de la Résistance ) au totalitarisme, à la guerre et à la déshumanisation ne sera pas vain. Malgré tout, nous continuons à croire que l’art, la solidarité et l’expression libre peuvent, sinon changer le cours de l’histoire, mais du moins l’influencer.

Biographies

Commissariat et conception :
Artem Arsenian est producteur de théâtre et curateur. Né à Krasnodar, il vit et travaille en France depuis 2022. Associé aux projets et des espaces scéniques indépendants de Saint-Pétersbourg, participant aux festivals Point d’accès et Nouveau théâtre européen, qui ont cessé leur activité à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il a collaboré à plusieurs reprises avec Rimini Protokoll, Tassos Stevens, Boris Nikitin, L’encyclopédie de la parole, SIGNA et Semion Alexandrovsky. Engagé dans des initiatives militantes décoloniales et aux recherches associées, il est membre du conseil des experts de la Fondation Hume, producteur de l’association Chronotop et fait partie de l’Atelier des artistes en exil.

Nika Parkhomovskaia est dramaturge, productrice et chercheuse de théâtre. Née à Saint-Pétersbourg, elle vit et travaille en France depuis 2022. Elle est diplômée de l’Institut d’État russe des arts de la scène et de l’École du chef de théâtre. Rédactrice en chef du magazine Théâtre, elle coopère en tant qu’auteure avec divers médias, donne des conférences sur l’histoire du théâtre et de la danse, le management et le design social. Anciennement directrice exécutive du festival Nouveau théâtre européen et directrice du Nouvel Espace du Théâtre des Nations, elle a remporté le prix du Masque d’Or pour la pièce Exploration de l’horreur. En 2022, elle a co-organisé un groupe de soutien des acteurs culturels russophones en exil en France et la plateforme ON/OFF pour les artistes de danse russophones et européens.

Scénographie :
Eldar Karkhalev est né à Astrakhan, il vit et travaille en France depuis 2022. Il a étudié la scénographie de théâtre, la peinture et l’art des nouveaux médias. Depuis plus de 15 ans, il travaille dans le cinéma en tant que chef décorateur. Les films pour lesquels il a conçu des décors ont été lauréats des festivals de Venise, de Cannes et de Berlin, ou y ont figuré dans les sélections officielles. Eldar est également auteur de bandes dessinées et de projets artistiques traitant de l’intimité, des troubles de la mémoire et de la perception de la réalité.

Design :
Le studio de design graphique Holystick a été fondé par Mila Silenina, Yana Etkina et Yulia Kondratieva en 2019 à Moscou. Holystick travaille activement avec des institutions culturelles et des projets indépendants. Pour chaque projet, quelle que soit son échelle, Holystick vise à exprimer le concept dans son intégrité. L’équipe est convaincue que tout est lié dans la création, mais qu’il faut toujours laisser une place à l’heureux hasard.

Espace sonore :
Daniil Koronkevich est compositeur, ingénieur du son, concepteur sonore de théâtre. Ancien géophysicien, il a participé à des expéditions dans diverses régions reculées de Russie (Altaï, Tchoukotka, péninsule de Kola). Il a eu le souhait de transposer dans sa musique l’expérience acquise lors de ses voyages. Il intervient au Laboratoire des nouveaux médias de la Nouvelle scène du Théâtre Alexandrinsky et dans divers théâtres en Russie et à l’étranger.

Ksenia Marrokanskaya est compositrice, chanteuse, pianiste, poétesse, chercheuse du son et de l’écoute. Elle a reçu une formation de pianiste et de critique d’art et s’est ensuite spécialisée dans l’avant-garde jazz et la musique ancienne. Le style de composition de ses œuvres solo est mesuré et clair, les chansons rappellent la musique des minimalistes et des romantiques, les paroles sont étroitement liées à la poésie russe du milieu du XXe siècle. Elle crée des œuvres sonores expérimentales pour le théâtre et le cinéma, joue des concerts improvisés, cherche des formes nouvelles avec des sons du piano, la voix, des synthétiseurs et des enregistrements sur le terrain. 

Artistes :

Alexandra Poldi est héritière d’une célèbre dynastie de cirque, gymnaste aérienne, performeuse et réalisatrice. Née à Moscou, elle vit et travaille en France depuis 2022. Tata (nom sous lequel elle est connue de ses collègues et du public en Russie et en Europe) est diplômée de l’Institut Russe des Arts de Théâtre, elle est lauréate de festivals et de concours internationaux de cirque et de théâtre. Elle a participé aux échanges d’écoles avec le Centre national des arts du cirque (Cnac) et le Salon mondial du cirque. Elle a travaillé au Cirque Nikoulin de Moscou, a enseigné et fait de la mise en scène au Cirque Upsala – le seul cirque au monde pour les voyous. Au fil des années, elle a travaillé avec des compagnies indépendantes et des théâtres de rue tels que ISOBIKE, Liquid theatre, le  « Cirque des Antiquités », « Les gens de Feu », Low Tech Studio.

Vika Privalova est une artiste pluridisciplinaire, activiste, metteuse en scène et réalisatrice, membre des communautés de défenseurs des droits et de mouvements anti-guerre. Née en Sibérie, elle vit et travaille en France depuis 2022. Diplômée de la faculté de mise en scène de l’Institut national de la cinématographie de Moscou. Elle a réalisé des pièces et des performances, créé des installations et a été nominée au Masque d’Or pour sa pièce Salut, maman !. Elle a participé à des artlab et à des résidences en Europe. Après le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, l’artiste a reçu des menaces et tous ses projets ont été annulés en raison de sa position ouvertement anti-guerre. Depuis le 24 février 2022, elle tient le Journal de Kiev. Coordinatrice de la Résistance féministe anti-guerre et conservatrice de Art to help – projet d’art activiste soutenant les populations vulnérables.

Esther Bol [Asya Voloshina] est dramaturge, théoricienne du théâtre, auteure de textes pour le théâtre. Née à Rostov, elle vit et travaille en France depuis 2023. En 2013, elle obtient un master à l’Institut d’État russe des arts de la scène. Ses textes ont été utilisés dans une cinquantaine de productions en Europe et en Russie. Dès le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, elle quitte définitivement son pays. Marquant la totalité de la catastrophe, le caractère insurmontable de la rupture et l’impossibilité de toute forme de retour, elle change de nom. Actuellement, la plupart des productions russes basées sur ses textes sont interdites. Sa pièce Crime sera bientôt publiée en France par la Maison d’Europe et d’Orient – Editions l’Espace d’un instant.

Georges Bogachev (pseudonyme) est photographe, performeur, réalisateur. Né en Sibérie, vit et travaille en Russie. Diplômé de l’Université d’État d’Irkoutsk, il a enseigné dans le secondaire et a participé à des expéditions géologiques en Yakoutie et dans la région de Magadan. Également diplômé de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, département de réalisation de films documentaires, il a participé à de nombreuses résidences artistiques et à des festivals de films documentaires. Il doit son pseudonyme à ses deux arrière-grands-pères. L’un a combattu pendant la guerre civile aux côtés de l’Armée Rouge et, tout au long de la Seconde Guerre mondiale a servi dans le bataillon disciplinaire. Le second était un « koulak », déporté avec sa famille dans la région d’Irkoutsk durant la collectivisation menée par Staline, et mort en exil.

Alexey Nadzharov est compositeur et enseignant. Né à Moscou, il vit et travaille en France depuis 2023. Diplômé du Conservatoire de Moscou, spécialité « Composition », a étudié le piano jazz. Il a suivi des cours de composition à Apeldoorn (Pays-Bas, 2010), Darmstadt (Allemagne, 2012) et à Tchaikovsky (Russie, 2013). Il a travaillé au sein des centres Cesaré et La Muse en Circuit, sur la pièce («[re]current») créée dans le cadre de l’Année de la Russie en France. Ses compositions ont été interprétées par les collectifs Studio for New Music, MASM, eNsemble, Ereprijs, Ensemble Multilatérale, Alter Ego, et Ensemble Modern. Les œuvres d’Alexey ont été produites sur CD par le label FANCYMUSIC.

Shamil Shaaev est philologue, curateur et artiste. Né à Oufa, il vit et travaille en France depuis 2023. Diplômé de l’Université d’État de Bachkirie à Oufa et des Ateliers libres du Musée d’art moderne de Moscou. En 2020, il a été présélectionné au prix du concours Turbulence organisé par l’Agence Culture Création de la Foire d’art contemporain Cosmoscow. Il est cofondateur de Disk, groupe autogéré d’artistes et de commissaires d’exposition. Il a travaillé comme coordinateur du programme de conférences et d’expositions du musée ZAMAN à Oufa. Il a également été commissaire du projet NAFISA, soutenant les femmes artistes au Bashkortostan. Depuis 2023, il étudie à la Haute école des arts du Rhin (Strasbourg).

LES ŒUVRES

Ma nouvelle vie de Alexandra Poldi
Le jeu interactif Ma nouvelle vie symbolise la nouvelle réalité dans laquelle se trouvent les artistes russophones en exil. Le champ du jeu est une plate-forme divisée en trois parties de couleurs différentes : le rouge représente les besoins physiologiques et la sécurité ; le bleu – les besoins sociaux et personnels ; le blanc – la créativité et l’épanouissement personnel. À côté de la plate-forme se trouvent des objets symbolisant les valeurs spirituelles, les nécessités quotidiennes et les principes de vie. Le but du jeu est de se préserver et de trouver l’équilibre dans de nouvelles circonstances.

Alexandra Poldi estime que «…parfois, on a 30 valises de vêtements, tout l’équipement, des peintures, des outils, la famille… mais on se sent vide. Et inversement, il y a des moments où l’on n’a qu’un sac à dos et zéro papiers, mais on se sent libre, épanoui et léger. On n’est pas seul, on est entouré de sa famille, des amis ou simplement des personnes dans la même situation que nous. Nous nous accrochons à de nouvelles opportunités, mais parfois notre raison vacille. Nous apprenons à chercher l’équilibre, nous nous rendons compte que l’équilibre est un processus en soi…».

Nonsilence de Vika Privalova :

L’installation interactive Nonsilence est basée sur des histoires actuelles des Russes. Les écrans et les écouteurs émettent des récits documentaires des personnes forcées de vivre dans un pays menant la guerre, de celles qui ont choisi de rester, de celles qui sont parties ou encore de celles qui ont décidé de revenir. Il semblerait que ces histoires traversent l’espace de l’exposition pour se fondre dans d’autres œuvres présentées. 

Pour Privalova, cette pièce porte sur la possibilité de parler ou de (ne pas) se taire lorsqu’on vit dans une dictature. Comment rester humain au sein d’un système totalitaire et même y résister ? Le public est libre de percevoir les textes audio dans leur intégralité ou de façon fragmentaire. Les récits sont diffusés en russe et sous-titrés en  français.

Stéthoscope de Esther Bol [Asya Voloshina]

L’objet récursif Stéthoscope est une pelote noire d’écouteurs enchevêtrés qui ressemble à un modèle 3D d’un dessin d’enfant illustrant l’horreur, ou un virevoltant, ou une motte égarée, flottante, d’une vie – des vies. Des bribes de la pièce Crime sur la guerre criminelle de la Russie en Ukraine sont diffusées dans les écouteurs. La temporalité inhérente à la pièce est froissée ; la fluidité est déchirée, comme en lambeaux. C’est ce qui arrive avec des souvenirs traumatisants, quand tout est mélangé ; les brûlures, les blessures se superposent. 

Le spectateur peut s’approcher et recevoir autant de douleur qu’il estime acceptable : pour paraphraser Susan Sontag, « écouter la douleur des autres ». Ce contact par l’ouïe est intime, tactile et déplié à 180 degrés : nous sommes habitués à être de l’autre côté du stéthoscope, à mettre notre cœur et notre souffle au centre de l’attention. Ici, il s’agit d’entendre un autre organisme, un énorme organisme qui saigne : l’Ukraine. Peut-être qu’à travers le morcellement, la fragmentation, les ruptures, il sera possible de toucher à l’infinité d’un « tout ». L’objet récursif fait partie de lui-même. Chaque tragédie fait partie d’une tragédie qu’elle-même est.

Fixateur de Georges Bogachev (pseudonyme) :

Georges Bogachev se consacre à la photographie argentique depuis 2010. L’objectif de son appareil photo KIEV-4 saisit des paysages, des scènes de rue et de famille, des monuments architecturaux et des portraits de proches. En 2022, lorsque la guerre éclate en Ukraine, cette série de photos se poursuit. Aujourd’hui, sa caméra ne se contente plus de capturer des contours familiers, mais révèle les métamorphoses subies par les personnes, la nature, le pays et le monde. 

Le projet photographique performatif Fixateur invite à observer ces images prises « avant » et « après », à expérimenter ce qu’elles pourraient dire par elles-mêmes, sans commentaires ni instructions de la part de l’auteur. Dans une chambre noire, les spectateurs composent leurs propres récits à partir de photographies tirées de pellicules transmises par l’auteur depuis la Russie. Les photographies sont accrochées dans un ordre aléatoire. À chaque fois, un nouveau récit se crée, dépendant entièrement de la personne qui en fait l’expérience.

Titre perplexe de Alexey Nadzharov

La pièce proposée par Alexey Nadzharov invite à explorer la singularité de l’auto-identification dans de nouvelles circonstances. L’artiste explique que sa propre situation de déplacement a coïncidé avec le développement dynamique des technologies des réseaux neuronaux et la recherche de réponses aux questionnements sur l’importance des choses familières qui l’entourent, de ses activités, sur la possibilité de leur existence sans qu’il n’y prenne part. Il a donc créé un objet audiovisuel génératif qui exprime sa perception du moment et la possibilité – ou l’impossibilité – de se percevoir de l’extérieur.

Nocturne de Shamil Shaaev :

Cela fait plus de six mois que la Fédération de Russie a adopté une loi sur la « protection des valeurs traditionnelles », qui discrimine toutes les minorités sexuelles du pays et les prive de fait de leurs droits. Ce processus a commencé en 2013, lorsque le gouvernement a approuvé une loi interdisant la « propagande des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs » ; en 2022, cette loi a été étendue à tous les âges. En juillet 2023, la Douma d’État a adopté une loi interdisant le changement de sexe. Vladimir Poutine a également ordonné la création d’un nouvel institut psychiatrique où seront, entre autres, étudiées les « tendances comportementales » des personnes LGBTQ+. 

Le projet vidéo Nocturne, pour lequel des amis LGBTQ+ de l’auteur ont réalisé des prises de vue le soir et la nuit, est une réflexion sur tous ces événements et une tentative de les appréhender de manière métaphorique et imagée. Les protagonistes de Nocturne sont des espaces publics surveillés 24h/24 et des personnes ordinaires capturées chez elles la nuit. Il nous semble pénétrer dans leurs vies intimes qui continuent d’exister malgré toutes les restrictions. Il paraît plus facile de passer inaperçu la nuit, mais la nuit peut aussi être source d’angoisses, de terreurs et de sentiments de solitude accrus.


Production : Théâtre Nouvelle Génération — Centre Dramatique National Lyon
Dans le cadre du Festival Sens Interdits
Avec le soutien d’Institut Français and Programme national d’Accueil en Urgence des Scientifiques et artistes en Exil (PAUSE) managed by the Collège de France, and funded by the Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI)

En partenariat avec la plateforme Théâtre de résistance